Prieuré de la Sainte-Trinité, de la Sainte-Croix et de Sainte-Marie
Entre 870 et 876, deux époux, Letbald et Altasie, propriétaires d'une villa (grand domaine) sise à Enziacum, donnent celle-ci au monastère bénédictin Saint-Martin d'Autun. Cet établissement, qui avait précédemment reçu le renfort de moines originaires de Saint-Savin-sur-Gartempe, près de Poitiers, pour effectuer sa propre réforme, fonde peu après à Anzy un prieuré à la tête duquel le moine Hugues de Poitiers, qui faisait partie de ce groupe de moines poitevins, se maintint jusqu'à sa mort autour de 925/930. Au Xe siècle, il y a donc eu une première église, que les archéologues appellent Anzy I, sans en rien connaître, cependant. L'édifice carolingien a en effet été remplacé dès le début du XIe siècle par une seconde église dont la nef fut utilisée pendant une centaine d'année.
Cependant, le contexte réformateur qui présidait aux destinées du monachisme en ce début du XIe siècle en Bourgogne (Cluny, Saint-Germain d'Auxerre, Flavigny, Saint-Bénigne de Dijon...), donna une nouvelle impulsion au modeste prieuré, sans doute également selon la volonté de Gauthier, évêque d'Autun (977-1024). La personnalité d'Hugues d'Anzy fit en effet l'objet d'un culte. Des miracles lui furent attribués. Durant la première moitié du XIe siècle, Une Vie et des Miracles de saint Hugues sont rédigés (édités dans Bibliotheca Hagiographica Latina 4003-4004, AASS, Aprilis II (3 a ed.), p. 761-769), puis intégrés au légendier (recueil des legenda ou textes relatifs à la vie des saints, qu'il faut lire") de Saint-Martin d'Autun. Vraisemblablement, le chroniqueur Raoul Glaber (v. 990-1047) en connaissait déjà la teneur, même si ces textes sont finalement demeurés confidentiels au Moyen Âge. Une translation des reliques est même effectuée au concile d'Anse (1021), près de Lyon. Ce regain de notoriété détermina sans doute la reprise complète du massif oriental de l'église.
L'église priorale
Architecture
Première phase de construction : La crypte et les soubassements du chevet
On ne sait rien des bâtiments carolingiens et tout ce qui est encore visible en élévation date du XIe siècle au plus tôt. Dans une thèse très complète sur le sujet, Matthias Hamann a restitué il y a une quinzaine d'années une chronologie à laquelle on peut désormais s'arrêter pour les grandes lignes de cette histoire architecturale complexe. On a ainsi longtemps cru que la crypte pouvait appartenir au Xe siècle. Cette crypte-halle offre en effet un stade intermédiaire entre les cryptes à couloir comme celles d'Auxerre et de Flavigny et les cryptes-halles de la fin du XIe siècle. C'est donc autour de 1050 au plus tôt que les travaux ont débuté, selon un projet qui intégrait déjà la construction supérieure, puisque le plan des deux niveaux actuels correspondent absolument. Cette crypte comporte trois nefs de trois travées, ouvertes sur des espaces latéraux dont la surface est celle-même des absidioles qui les surmontent. Matthias Hamann évoque la date de 1000-1030 pour cette crypte sur la base du style des chapiteaux, mais certains peuvent être de remploi. On accède aujourd'hui à la crypte par des escaliers remaniés. Ceux du Moyen Âge, qui communiquaient avec la croisée du transept, comme à Saint-Philibert de Tournus, voisinaient avec des fenestellae (petites ouvertures) par lesquelles les pèlerins pouvaient apercevoir la crypte et entendre la liturgie qui y avait lieu. C'est la seule crypte romane du Brionnais. N'oublions pas que les développements architecturaux de l'époque romane s'expliquent en grande partie par les nécessités de la liturgie, qui prend alors une place considérable notamment chez les bénédictins, réformés ou non par Cluny.
Seconde phase : choeur, abside, croisillons du transept et piliers orientaux du transept
On voit bien, lorsqu'on entre dans le transept, qu'il y a une différence de niveau avec le sanctuaire, beaucoup plus haut. Or, c'est beaucoup moins le cas entre la nef actuelle et le sanctuaire. Manifestement, la meilleure explication consiste à dire que le transept actuel est venu jouxter une nef antérieure dont le niveau était le même que le sien, la surélévation du choeur par rapport au transept mettant en valeur le rôle liturgique du sanctuaire. Peut-être ne prévoyait-on pas alors de remplacer la nef existante édifiée durant la première moitié du XIe siècle. D'ailleurs, les arcades sous lesquelles la communication était prévue entre les collatéraux de la nef actuelle et le transept sont trop basses. Elles coïncideraient en revanche fort bien avec une nef plus basse de 1,20 mètre. Pour construire ce chevet, on s'inspira probablement de celui de Cluny II, tout comme, au même moment, on le faisait pour celui de la priorale de Charlieu, géographiquement proche. Ce chantier-là a dû occuper les années 1070-1100 ou à peu près, au vu du style des chapiteaux.
Troisième phase : on termine le transept et l'on pose la base du clocher
Cette phase dut occuper les premières années du XIIe siècle. La reconstruction de la nef est alors envisagée, selon un projet bien différent, audacieux et innovant, qui prendrait ensuite valeur de quasi-prototype en Brionnais et beaucoup plus loin, même. Le chevet à cinq absides échelonnées, le transept voûté en berceau et la croisée couverte d'une coupole sont terminés. L'ensemble venait remplacer le massif oriental beaucoup plus modeste qui appartenait à l'édifice qu'on peut appeler Anzy II (édifié autour de l'an mil). C'est là un processus très courant à l'époque : le développement du culte des reliques et de la liturgie dans les sanctuaires de pèlerinages rendait nécessaire l'agrandissement des chevets, lorsque ne s'y mêlait pas d'autres motivations, à caractère somptuaire par exemple. Par la suite, la nef est reconstruite. Ce phénomène se produit à Vézelay au même moment.
La quatrième phase est consacrée à l'édification des trois travées orientales de la nef, les deux travées suivantes, à l'ouest, révélant la présence d'un autre atelier et des méthodes importées du chantier de Cluny III, lors d'une cinquième et dernière phase, selon Matthias Hamann. La construction des étages du clocher octogonal intervient lors de cette cinquième phase, entre 1125 et 1130 environ. La nef flanquée de bas-côtés est couverte de voûtes d'arêtes et les cinq travées sont scandées par des piliers cruciformes à demi-colonnes engagées.
Ce qui caractérise l'architecture romane en Brionnais est la variété des solutions proposées au niveau du voûtement. Pour la première fois, cependant, on jetait une voute d'arête sur une large nef centrale dont les collatéraux étaient aussi voûtés d'arêtes et l'on éclairait de manière risquée le vaisseau central par des fenêtres hautes. C'est cependant là un parti qui n'a pas toujours été retenu en Brionnais par la suite : Iguerande et Varenne-l'Arconce (v. 1120-1130) ont par exemple des nefs aveugles. Cette option a cependant été adoptée dans des édifices qui n'entretenaient pas de liens immédiats avec Anzy : Gourdon, Toulon-sur-Arroux et Issy-l'Évêque. Des rapports temporels et institutionnels paraissent plus aptes à expliquer ce choix dans d'autres cas, comme à Vézelay dont s'inspirent ensuite le maître d'oeuvre de Saint-Lazare d'Avallon et celui de l'église des Hospitaliers à Pontaubert. Le modèle de Cluny concurrence nettement celui d'Anzy dans certaines églises du Brionnais, comme à Semur et à Châteauneuf.
Sculpture
Comme pour l'architecture, il est possible de restituer une chronologie ou, plutôt, de décrire la succession des ateliers auxquels nous devons l'extraordinaire série de chapiteaux (40 au total) de l'église, mais aussi le décor du clocher, des bases de colonnes dans la nef ou celui des modillons et des trois portails dont deux sont encore en place. Mathias Hamann reconnaît quatre ateliers principaux, qu'il nomme pour les deux premiers Anzy-est (choeur et chevet) et Anzy-nef (avec une influence clunisienne surtout perceptible dans les chapiteaux historiés, influence qui concerne aussi le portail occidental du prieuré) avant de décrire le travail des artistes qui ont réalisé le portail sud et les modillons extérieurs de la nef, puis celui des sculpteurs du portail occidental dit "portail d'Arcy".
Une grande variété de thèmes caractérise les chapiteaux : on y trouve un répertoire décoratif à caractère végétal, animal également, et des scènes bibliques ou morales bien analysées par Marcelo Angheben, qui y voit un programme pensé autour des oppositions entre le bien et le mal et entre les vice et les vertus, dont on sait par ailleurs qu'ils sont inhérents à la réforme grégorienne. Pour un aperçu de cette richesse, signalons de manière non exhaustive les feuillages stylisés, les palmettes, les rinceaux, les volutes, les lions affrontés, l'atlante, les têtes humaines (barbues ou non), la musique profane diabolique, l'avarice, le combat de Samson avec un lion. Il faut d'ailleurs observer qu'un programme d'une telle ampleur est unique en Brionnais et ne soutient la comparaison qu'avec ces grandes églises de pèlerinage que sont Vézelay, Autun ou Saulieu. Les modillons de la nef et du chevet sont aussi décorés de motifs parfois improbables (cyclope, atlante, sirène, chevalier..).
Il faut aussi et surtout évoquer la sculpture des trois grands portails conservés. Le portail ouest, à rapprocher de ceux de Charlieu et de Montceaux-l'Étoile, a été réalisé par un artiste rompu au style des artistes de Cluny III, qui a représenté le Christ en majesté dans sa mandore, surmontant un linteau où se déploient les apôtres et la Vierge, la voussure interne très abîmée étant occupée par dix-neuf Vieillards de l'Apocalypse, les cinq autres Vieillards prenant sans doute place aux chapiteaux que surmonte la voussure. Ce tympan a été réalisé aux environs de 1125/1130.
Le tympan de l'entrée occidentale du prieuré, aujourd'hui exposé au Musée du Hiéron, à Paray-le-Monial, et appelé "tympan d'Arcy", a également été sculpté vers 1130. Sur ce dernier on peut admirer l'Ascension du Christ (dans sa mandorle) entouré de deux anges, la scène rarissime du linteau méritant une mention particulière : il s'agit de la Vierge allaitant l'Enfant, accompagnée des saints Moïse, Pierre, Paul et Étienne et de quatre saintes femmes, tandis que des prophètes occupent les chapiteaux des piédroits.
Enfin le portail sud du prieuré est l'oeuvre de l'atelier du Donjon, auquel on doit aussi les magnifiques tympans de Neuilly-en-Donjon et de Chassenard (l'une et l'autre commune situées dans l'Allier, mais à quelques kilomètres seulement d'Anzy), ce dernier redécouvert en l'an 2000 seulement. On peut y voir, au tympan, l'Adoration des Mages, à gauche, et le Péché originel, à droite. Le linteau est occupé par le Jugement dernier. Le style en est plus confus, quoique remarquable également, et désigne un XIIe siècle plus avancé, vers 1140 environ.
Pour comparaison, voici quelques clichés des magnifiques tympans de Chassenard (v. 1140-1150), qui traite le thème de l'Apocalypse (le Christ entouré des anges et des symboles des évangélistes) et de Neuilly-en-Donjon (v. 1150), qui représente des scènes de la vie de l'Enfance du Christ ainsi qu'Adam et Ève au linteau. Il s'agit d'oeuvres importantes de la sculpture romane brionnaise. Il faut donc les montrer, bien que ces communes soient situées dans le département voisin de l'Allier, en Auvergne.
Des sculpteurs d'Anzy-est ont travaillé vers 1100 à Vézelay, dans l'ancien choeur roman, de même qu'à Saint-Pierre-le-Moûtier et Commagny. Les sculpteurs d'Anzy-nef ont un style qu'il les a fait reconnaître à Vézelay encore (v. 1130), puis à la croisée du transept de Tournus, à la cathédrale d'Autun et à la collégiale Notre-Dame de Beaune un peu plus tard.
...sans oublier la décoration parfois fantastique des modillons de la nef, côté sud !
Les peintures murales
Découvertes au milieu du XIXe siècle, elles ont alors fait l'objet d'une restauration parfois drastique, en particulier dans l'absidiole nord. D'époque romane (XIIe siècle), elles occupent le cul-de-four de l'abside (Ascension du Christ, les douze apôtres et trois saintes femmes), les arcades de l'abside (les saints fondateurs Letbald et Altasie), l'absidiole axiale qui prolonge l'abside principale (scènes de la vie de saint Benoît), l'absidiole nord, précisément (vie de l'évangéliste Jean), et l'absidiole sud (le martyre de saint Jean-Baptiste).
Les autres bâtiments du prieuré
Subsistent encore l'enceinte du XIIe siècle, une grosse tour carrée avec baies romanes géminées (XIIe siècle) que l'on appelle Tour de la Justice (le prieur avait droit de justice) et le logis du prieur reconstruit aux XVIe et XVIIe siècles.
Bibliographie et ressources en ligne
-Matthias Hamann, Die burgundische Prioratskirche von Anzy-le-Duc und die romanische Plastik im Brionnais, Würzburg, 2000. Voir l'article-résumé en ligne.
-Christian Sapin (dir.), Bourgogne romane, Dijon, 2006.
-Nicolas Reveyron, "La priorale martinienne d'Anzy-le-Duc", dans Hugues de Semur 1024-1109. Lumières clunisiennes, catalogue de l'exposition de Paray-le-Monial, 11 juillet-11 octobre 2009, pour le 1100e anniversaire de l'abbaye de Cluny, p. 149-152. Résumé sur cette page internet.
-Guide des trente églises et chapelles romanes du Brionnais, par le Centre d'étude des patrimoines culturels du Charolais-Brionnais.
Sur la pierre et la sculpture à Anzy (et en Brionnais), on lira avec profit :
-Marcelo Angheben, Les chapiteaux romans de Bourgogne : thèmes et programmes, Turnhout, 2003. Excellente mise en perspective de la sculpture d'Anzy dans un cadre plus large.
À propos de saint Hugues d'Anzy-le-Duc, on consultera une communication de Dominique Iogna-Prat intitulée La geste des origines dans l'historiographie clunisienne des XIe et XIIe siècles, qui est le chapitre 6 d'un ouvrage du même auteur intitulé Études clunisiennes, paru à Paris en 2002 et en ligne sur le site du CAIRN sur cette page.
-Anelise Nicolier, "La pierre des églises romanes du Brionnais : approvisionnement et mise en œuvre", dans Paysages, patrimoine bâti et matériaux en Bourgogne de l'Antiquité à nos jours, Actes du 23e colloque de l'Association Bourguignonne des Sociétés Savantes (Saint-Christophe-en-Brionnais, 26-27 octobre 2013), Saint-Christophe-en-Brionnais - Dijon, 2014, p. 113-123. Article en ligne.
On doit impérativement signaler ici le dynamisme de l'Association des Amis de l'église d'Anzy-le-Duc, dont les actions contribuent à l'entretien de ce témoin patrimonial exceptionnel.