De la cité d'Autessiodorum à la ville royale
Des traces d'occupation protohistorique (Âge du Bronze et époque de la Tène) ont été repérées, mais ce sont les Romains qui permirent l'émergence d'une véritable cité, d'abord partie intégrante de la civitas (cité) de Sens. Auxerre devient cité à part entière peut-être sous Dioclétien (284-305) au plus tôt. Un castrum se développa, fortifié à la fin du IVe siècle par crainte des violences occasionnées par les peuples germanique. Le site, sur les bords de l'Yonne, affluent de la Seine, était une étape sur la Via Agrippa, ce qui favorisa les échanges, y compris la mobilité humaine. La christianisation emprunta les axes commerciaux et progressa à partir du IVe siècle.
Dans ce processus de christianisation, les récits hagiographiques soulignent le rôle de quelques saints martyrs comme Romain, Urse et Pèlerin au IIIe siècle, mais la nature même de ces sources appellent beaucoup de circonspection en ce qui concerne la véracité des faits évoqués. Le premier évêque d'Auxerre est sans doute Valerianus (346-361). Le renom de Germain, né dans la région vers 378-380, évêque de la cité entre 418 et 448, conféra à Auxerre une réputation qui dépassa de loin les limites de la future Bourgogne et de la Gaule. Germain fut en effet un protagoniste de la christianisation de la Gaule, lutta contre l'hérésie pélagienne en Angleterre (alors appelée Bretagne), où il se rendit deux fois, et contribua à la diffusion du culte des saints et des reliques.
Ce dernier point est très important. Dans un livre désormais classique, intitulé Le culte des saints. Son essor et sa fonction dans la chrétienté latine (Paris, 1984), Peter Brown a bien décrit le mouvement ascendant de cette modalité spirituelle et liturgique en Occident, mouvement auquel Germain d'Auxerre prit une part active. En effet, ce dernier fonda extra muros le monastère Saint-Cosme-et-Saint-Damien, devenu ensuite Saint-Marien, qui fut l'un des premiers établissements monastiques en Gaule. Il faut rappeler que c'est saint Martin (316-397), évêque de Tours, qui avait fondé le premier établissement monastique, à Ligugé, en 361, autrement dit peu de temps auparavant. Germain rapporta également à Auxerre des reliques de saint Maurice d'Agaune (Valais), pour lesquelles il fit édifier un oratoire dans une propriété familiale située à l'emplacement actuel de l'abbaye Saint-Germain et où l'on a retrouvé des traces de la villa (grande propriété rurale) du IVe siècle. La dépouille de Germain prit place auprès des reliques, dans ce qui devint immédiatement un oratoire-mausolée, car un culte à saint Germain se développa très vite après. C'est cet oratoire-mausolée que la reine franque Clotilde couvrit d'une basilique vers 540 et que les Carolingiens embellirent considérablement au milieu du IXe siècle.
Le groupe cathédral était quant à lui constitué de l'église Saint-Étienne, du baptistère Saint-Jean et d'une église Notre-Dame. Plusieurs basiliques furent construites par ailleurs : Saint-Gervais-et-Saint-Protais, Saint-Eusèbe et Notre-Dame-la-d'Hors par exemple. Les établissements monastiques Saint-Martin, Notre-Dame, Saint-Julien et Saint-André complétaient un paysage religieux particulièrement dense dès le haut Moyen Âge, dans le cadre d'un diocèse qui comptait déjà une quarantaine de paroisses vers 700. Il faut cependant plutôt voir ces paroisses comme des regroupements de population autour d'un lieu de culte plutôt que comme une subdivision du diocèse, qui correspond à une définition administrative plus tardive du terme. Sous l'épiscopat de Hainmar (720-735/40), des moines sont pour la première fois attestés à Saint-Germain, nom que prit rapidement après la mort du grand évêque la basilique funéraire établie sur le mausolée. Les évêques de cette époque montrent un certain dynamisme : Aunaire (v. 561-605) convoque un synode à Auxerre, Pallade (623-659) y fonde une basilique dédiée à saint Eusèbe de Verceil et Tetricius (692-707) établit un règlement liturgique pour son diocèse. La géographie ecclésiastique d'Auxerre se fixa au VIIIe siècle. D'autres fondations paroissiales et religieuses interviendront au Moyen Âge central (XIe-XIIIe siècle). En plein haut Moyen Âge, Auxerre offre en tout cas un témoignage instructif du rapport entre essor monastique et espace urbain, comme l'ont montré Michèle Gaillard et Christian Sapin dans un article où les plans médiévaux d'Autun et d'Auxerre sont comparés.
Plusieurs évêques carolingiens comptent parmi les hauts personnages de l'Empire ; ce sont des proches du pouvoir ou des acteurs du renouveau culturel initié par Pépin le Bref (751-768) et surtout Charlemagne (768-814) : Maurin (771-799), Aaron (800-812), Angelelme (812-829), Heribald (829-857), Chrétien (860-873), Wala (873-879) et Herifrid (887-909). Heribald était ainsi apparenté au grand lettré Loup de Ferrières (v. 805-862). Il entretint une correspondance avec l'un des plus grands savants de l'époque carolingienne, Raban Maur (v. 780-856), abbé de Fulda dès 822 (Hesse, Germanie), puis archevêque de Mayence (847-856). En 873-875, deux chanoines de la cathédrale, Alagus et Rainogala, rédigent la Geste des évêques d'Auxerre (Gesta Pontificum Autissiodorensium), des notices consacrées aux évêques de la cité depuis l'Antiquité. Les continuations de l'oeuvre s'étendent jusqu'en plein XVIIIe siècle (1773). Des années 830 aux années 880, Auxerre a aussi été le siège d'une école monastique importante à Saint-Germain. C'est la renommée de ses maîtres (volontiers itinérants) qui en a fait la réputation. Citons :
-Le grammairien irlandais Murethach (ou Muiredach), commentateur, vers 840, des grammairiens latins Donat et Priscien.
-Le bibliste Haymon (actif entre 840 environ et 875 au plus tard), commentateur, notamment, des livres d'Isaïe, d'Ézéchiel, des Petits Prophètes, des épîtres de saint Paul et de l'Apocalypse et qui a joui d'une certaine influence au Moyen Âge. On conserve encore plus de deux cents manuscrits des IXe-XVe siècles du commentaire de saint Paul.
-L'exégète et liturgiste Heiric (841-883 ?), auteur d'une Vie de saint Germain, source précieuse concernant la restauration et les constructions carolingiennes de l'abbaye Saint-Germain, des Miracles de saint Germain et des Collectanea, des notes de cours.
-Enfin l'exégète et commentateur d'oeuvres classiques Remi (841-908), qui a aussi enseigné à Reims et à Paris. Remi commente en particulier un texte qui a joué un rôle important dans la transmission du savoir classique en Occident : les Noces de Philologie et de Mercure (De nuptiis Philologiae et Mercurii) de Martianus Capella, un auteur latin d'Afrique du Nord qui écrivait dans les années 410-430.
Ces hommes travaillent pour la cour de Louis le Pieux (814-840) et de Charles le Chauve (840-877) ; ils en font partie. Leur labeur se développe aussi en lien avec d'autres centres intellectuels et spirituels notables, à commencer par Reims, où domine la figure impérieuse de l'évêque Hincmar (845-882).
Le Xe siècle apparaît ensuite comme une période un peu plus terne, l'évêque Géran devant même combattre les Normands les armes à la main (912), avant le renouveau réformateur sous les évêques Hugues de Chalon (1001-1041), qui fait reconstruire sa cathédrale et surtout les fameuses cryptes romanes subsistantes, et Humbaud (1087-1114). Si Hugues de Montaigu (1115-1136), qui fit construire la galerie romane de l'évêché encore en élévation, a été abbé de Saint-Germain avant son accession à l'épiscopat, Hugues de Mâcon (1135-1151) a quant à lui d'abord été abbé de Pontigny et favorise le développement des cisterciens. Sous Guillaume de Toucy (1167-1182) une nouvelle enceinte est construite par le comte Guillaume III autour de la cité épiscopale et des faubourgs ; Guillaume de Seignelay (1207-1220), qui devint ensuite évêque de Paris (1220-1223), initie la reconstruction de la cathédrale Saint-Étienne en style gothique, tandis qu'une deuxième enceinte, plus vaste, vient doubler la première. Des Prémontrés s'installent à Saint-Marien, centre spirituel discret, mais dynamique au XIIe siècle, et des Cordeliers fondent un couvent à Auxerre (1225), un peu avant les dominicains (second quart du XIIIe siècle).
Si le comté est détenu par le comte de Nevers, l'évêque d'Auxerre n'en a pas moins de nombreuses prérogatives civiles sur le territoire. L'évêque est un grand, un seigneur au temps de la féodalité, sur une partie de la ville. Le dernier comte d'Auxerre vend le comté au roi Charles V en 1370 : Auxerre est ainsi réuni à la Couronne de France. La guerre de Cent Ans vient cependant troubler cet état de fait. En prenant parti pour le duc de Bourgogne au XVe siècle, Auxerre s'affranchit de l'autorité royale, mais l'échec de Charles le Téméraire devant les murs de Nancy (1477) précipite le rattachement à la Couronne, définitif à compter de 1490. Une bourgeoisie s'était développée en même temps que l'activité économique largement centrée sur le vin depuis le XIIe siècle. Auxerre doit déjà compter huit mille habitants à la fin du XIVe siècle. Les métiers s'organisent et les quartiers se spécialisent, la Tour de l'Horloge symbolisant les libertés communales dès 1483.
Bibliographie et ressources en ligne
-Jean-Pierre Rocher (dir.), Histoire d'Auxerre, des origines à nos jours, Le Coteau, 1984.
-Adrien Chaix, Les maisons à pans de bois d'Auxerre, Auxerre, 2005.
-Études d'exégèse carolingienne : autour d'Haymon d'Auxerre, Atelier de recherches, Centre d'Études médiévales d'Auxerre, 25-26 avril 2005, Turnhout, 2007 (textes réunis par Sumi Shimahara).
-André Segaud, Auxerre de A à Z, Saint-Cyr-sur-Loire, 2011.
-Consulter le site de l'Office du tourisme d'Auxerre.
-Voir le site Arts-et-patrimoine d'Auxerre.
L'abbaye Saint-Germain (VIe-XIVe siècle)
C'est à partir de l'oratoire Saint-Maurice fondé par l'évêque Germain au Ve siècle que s'est développé ce monastère. Entre l'oratoire de saint Germain et l'abbatiale gothique du XIVe siècle, on peut discerner plus d'une dizaine d'états successifs du complexe monastique. Dès avant 500, le lieu est déjà dédié à saint Germain, dont le culte se développe alors. Heiric d'Auxerre, au IXe siècle, mentionne les travaux réalisés à la demande de la reine Clotilde (†v. 545/548) pour la construction d'une basilique sur le tombeau du saint, certainement après la conquête de la Bourgogne par les Francs (534). Aux VIIe-VIIIe siècles, un atrium a été ajouté à la basilique de Clotilde. Les évêques d'Auxerre avaient déjà cessé de se faire inhumer dans la nécropole en usage jusque-là et élu sépulture ad sanctos, auprès des reliques de Germain et d'autres saints, près de l'oratoire-mausolée transformé en basilique funéraire : on a d'ailleurs retrouvé de nombreux sarcophages datant des Ve-Xe siècles sur le lieu même. À l'époque carolingienne, c'est dans la crypte même que les évêques se font inhumer, comme Héribald (829-857), dont nous conservons l'épitaphe, ou Chrétien (860-873). On notera que, contrairement à une tradition bien attestée dès le IXe siècle par le fameux plan de Saint-Gall, les bâtiments conventuels, en particulier l'espace claustral, ne sont pas implantés au sud de l'abbatiale, mais au nord de celle-ci. La raison tient au fait que la basilique de saint Germain avait été établie près du rebord du promontoire dominant l'Yonne.
À l'époque carolingienne, le comte d'Auxerre, Conrad (v. 830-v. 862), frère de l'impératrice Judith de Bavière et donc beau-frère de l'empereur Louis le Pieux, mais aussi abbé laïc de Saint-Germain, fait réaménager les cryptes après que l'invocation du saint lui a obtenu une guérison miraculeuse. Rappelons que dans le vocabulaire architectural du Moyen Âge le terme crypta ou cryptae désigne surtout un espace voûté. Les travaux commencent en 841 et l'ensemble est consacré en 859 en présence du roi Charles le Chauve. Il faut dire que depuis le début du IXe siècle au moins, l'abbaye Saint-Germain est abbaye royale. C'est même l'un des principaux monastères de Gaule et de l'Empire, à côté de Saint-Martin de Tours et de Saint-Denis. La confession, dans laquelle des colonnes surmontées de chapiteaux typiques des réalisations du milieu du IXe siècle supportent des poutres de bois sur lesquelles repose la voûte en berceau, conduit au tombeau de saint Germain (dont le sarcophage antique a été remonté, visible de tous, au XVIIe siècle). Un couloir de déambulation a été créé autour de cet espace, permettant la circulation des fidèles. Saint-Germain était en effet un site monastique de pèlerinage. Des chapelles latérales et des absidioles avaient été greffées sur ce couloir qui se termine au nord et au sud par des cubicules d'angles dans lesquels on a retrouvé des peintures murales en 1927, tout comme dans deux oratoires latéraux. Ces peintures sont d'autant plus précieuses qu'elles sont les plus anciennes de France. Le décor peint s'étend d'ailleurs à d'autres parties des cryptes. On peut ainsi voir des portraits d'évêques et un décor en trompe-l'oeil. Il faut évidemment signaler le cycle de saint Étienne, réalisé avant 857 au nord : l'artiste a représenté la comparution d'Étienne devant le Sanhédrin, son extase et sa lapidation. Les spécialistes évoquent une inspiration tirée de la peinture de manuscrits, notamment celle pratiquée dans le scriptorium de Saint-Martin de Tours, pour cette réalisation locale. Le nom de Fredilo, peint sur le tailloir d'un pilastre de la crypte, se réfère à l'artiste peintre auquel nous devons les peintures du milieu du IXe siècle. L'inscription est aujourd'hui incomplète, mais il faut peut-être lire Fredilo s〈an〉c〈t〉o 〈Germano〉(Fredilo, à saint Germain). On ignore en revanche, bien que cela demeure tout à fait vraisemblable, si ce Fredilo est le même personnage qu'un élève homonyme de Loup de Ferrières à la même époque.
Cet ensemble, et il faut insister sur ce point, est unique en France. Son intérêt, tant pour l'histoire de l'architecture médiévale que pour celle de la décoration peinte, est exceptionnel. Précisons que ces cryptes étaient initialement à deux niveaux. Aujourd'hui, seul le niveau inférieur subsiste. Le couloir circulaire s'ouvre à l'est sur le premier niveau d'une rotonde reconstruite au XIIIe siècle et qui est couverte d'une très belle voûte d'ogives à dix branches. Ce type de crypte à rotonde inspira peu de temps après le maître d'oeuvre des cryptes de Flavigny, dès les années 870. Les liens entre Auxerre et Flavigny étaient alors ceux de centres spirituels et culturels influents. C'était encore le cas vers l'an mil, date à laquelle l'abbé Heldric réforma les deux établissements. Ensuite, la réforme de Cluny toucha Auxerre sous l'abbé Mayeul vers 986.
Au-dessus des cryptes s'élevait une basilique dont on sait par l'archéologie qu'elle a été reconstruite au XIe siècle, précédée d'une antéglise équipée de piliers cruciformes et voûtée. Les substructions de cet édifice sont encore bien visibles dans l'espace archéologique aménagé en 1999 pour les mettre en valeur et pour montrer notamment l'importance de ce qui fut un site d'inhumation majeur entre le VIe et le XIVe siècle. Un narthex a été adjoint à l'ensemble au XIIe siècle, complété par la tour Saint-Jean, encore en élévation, qui remplaça vers 1160 une tour du siècle précédent. La tour Saint-Jean, de cinquante-trois mètres de hauteur, passe du plan carré à l'octogone à l'étage supérieur par l'intermédiaire des clochetons d'angles. On notera le profil étonnant de la flèche à huit pans convexes. Son décor d'arcatures, de perles et de chapiteaux à thèmes végétaux en font une très belle réalisation romane qui inspira la construction du clocher de Vermenton. Les murs intègrent des éléments sculptés qui sont autant de réemplois carolingiens : frises d'entrelacs et animaux affrontés.
Au milieu du XIIe siècle précisément, Saint-Germain est un établissement important et confortablement doté en biens divers. L'abbaye entretient en particulier d'excellentes relations avec celle de Vézelay. Il n'est pas impossible d'en lire l'indice architectural dans le plan des salles capitulaires de ces deux établissements, très proches l'un de l'autre. L'arc d'ogive y fait dans les deux cas son apparition, dans le cadre du premier gothique régional, autour de 1160-1170. La façade romane de cette salle capitulaire est remarquable par son décor sculpté.
On doit à l'abbé Jean de Joceval (1243-1277), la reconstruction de l'abbatiale en style gothique rayonnant à partir de 1277. Après fixation de l'enveloppe de pierre, les travaux progressèrent de l'est vers l'ouest. La nef est plus récente, puisqu'elle a été construite entre 1366 et 1369. La façade ne date que de 1817. Le maître d'oeuvre du chevet s'est inspiré du choeur de la cathédrale Saint-Étienne d'Auxerre, notamment pour la chapelle axiale et les longs futs des colonnes à l'entrée. L'un des éléments novateurs identifiés par Alexandra Gajewski, auteure d'un article important sur ce monument, consiste dans l'absence de chapiteau coiffant les piles du choeur. On peut y lire l'influence de Saint-Urbain de Troyes (v. 1270), à l'instar du sanctuaire de l'église Saint-Thibault, en Côte d'Or (v. 1300).
Les bâtiments conventuels ont été partiellement reconstruits à l'époque moderne, mais l'on conserve encore de l'époque romane, outre la salle capitulaire, la sacristie et la salle des moines (scriptorium) restaurée. La tour de la prison (1320) et le réfectoire (XVe s.) complètent un ensemble évidemment modifié de façon drastique par les reconstructions d'époque moderne, à commencer par le cloître et le logis abbatial (XVIIIe siècle). À l'étage, au dessus des salles romanes, le dortoir reconstruit par les Mauristes au XVIIe siècle est à présent optimisé par les collections du Musée d'art et d'histoire Saint-Germain, dont la visite s'impose absolument à qui souhaite découvrir des trésors archéologiques de grande importance pour l'histoire de la ville, de la région et de la France.
Bibliographie
-Lisa Schurenberg, Die kirchliche Baukunst in Frankreich zwischen 1270 und 1380, Berlin, 1934.
-Saint-Germain d'Auxerre. Intellectuels et artistes dans l'Europe carolingienne, IXe-XIe siècles, Auxerre, 1990.
-Dominique Iogna-Prat, Colette Jeudy (dir.), L'École carolingienne d'Auxerre de Murethach à Remi : 830-908, Paris, 1991.
-Christian Sapin (dir.), Peindre à Auxerre aux IXe-XIVe siècles. 10 ans de recherche à l’abbaye Saint-Germain d’Auxerre et à la cathédrale Saint-Étienne d’Auxerre, Auxerre-Paris, 1999.
-Id. (dir.), Archéologie et architecture d'un site monastique, Ve-XXe siècle. 10 ans de recherches à l'abbaye Saint-Germain d'Auxerre, Auxerre-Paris, 2000.
-Id., « Architecture et décor à saint-Germain d’Auxerre au IXe siècle : un ou des programmes adaptés », Cahiers du Léopard d’Or, Paris, 2011, p. 57-78.
-Alexandra Gajewski, "Saint-Germain d'Auxerre, une abbatiale rayonnante des années 1300", dans L’architecture gothique à Auxerre et dans sa région (XIIe - XIXe siècles). Naissance, transformations et pérennité, Actes de journée d’études, 17 mai 2008, Abbaye Saint-Germain d’Auxerre, Bulletin de la Société des fouilles archéologiques et des monuments historiques de l’Yonne, no 26-27 (2009-2010), p. 42-65.
-Noëlle Deflou-Leca, Saint-Germain d'Auxerre et ses dépendances (Ve-XIIIe siècle), Saint-Étienne, 2010.
La cathédrale Saint-Étienne (XIe-XVIe siècle)
Le moins que l'on puisse dire est que la chronologie de la construction de la cathédrale Saint-Étienne est complexe. Celle-ci, dans son état gothique, a fait place au début du XIIIe siècle à un ensemble roman que l'on devait à l'évêque Hugues de Chalon (1001-1041), au moins en ce qui concerne la crypte encore visible (1023-1035), et qui fut consacré en 1057 ; mais les travaux durèrent sans doute une bonne partie du XIe siècle, sous les épiscopats de Geoffroy de Champallement (1052-1076), Robert de Nevers (1076-1084) et Humbaud (1087-1114). Puis l'interminable chantier de la cathédrale gothique s'étala de 1215 aux années 1580.
L'oeuvre gothique épargna donc la crypte romane. Celle-ci est constituée par une salle de six travées, longue de 21,5 mètres et large de 10,5 mètres, flanquée de deux collatéraux et dont un déambulatoire permet de faire le tour à partir de la troisième travée ouest. L'ensemble est couvert de voûtes d'arêtes et intègre à une date précoce la pile composée. Il témoigne aussi du renouveau de la sculpture, aux chapiteaux.
À l'est, le déambulatoire s'ouvre sur une chapelle axiale dotée d'une petite abside. La voûte de cette abside est ornée d'une fresque, repeinte vers 1300, représentant le Christ en Majesté.
Ce sont toutefois les peintures couvrant la voûte de la travée droite de la chapelle axiale qui attirent l'attention. On y voit une scène inspirée par l'évocation du Cavalier de l'Apocalypse (chapitre 19, versets 11-16). Il s'agit du Christ à cheval, entouré par quatre anges. Le tout forme une structure cruciforme au centre. Pour réaliser ce chef d'oeuvre, une technique mixte a été employée : sur enduit frais (a fresco) et sur enduit sec (a secco). On doit cette peinture remarquable au maître principal de l'église de Combertault, en Côte d'Or. Sa datation divise toujours les spécialistes. Ces derniers optent en général pour une date autour de 1100, sous l'épiscopat de Humbaud (1087-1114). Toutefois, Barbaré Franzé a récemment émis l'hypothèse selon laquelle l'exécution de ces peintures devrait être plutôt située à la fin des travaux d'aménagement de la crypte, donc vers 1040, toujours à l'époque d'Hugues de Chalon.
L'oeuvre gothique, quant à elle, a été mise en chantier par Guillaume de Seignelay vers 1215. Cet évêque d'Auxerre (1207-1220), issu de la famille des barons de Seignelay, avait été doyen du chapitre de la cathédrale d'Auxerre auprès de son frère Manassès qui y occupait la fonction d'archidiacre. Guillaume fut élu évêque d'Auxerre en 1207 et Manassès accepta peu après l'évêché d'Orléans. Guillaume fut un évêque très actif. Soucieux de défendre les intérêts du temporel de sa cathédrale, il n'hésita pas à affronter le roi Philippe-Auguste sur ce sujet. Il participa à la croisade contre les Albigeois aux côtés de Simon de Montfort en 1209, dota un hôtel-Dieu à Appoigny et augmenta le nombre de paroisses à La Charité-sur-Loire. Guillaume quitta son siège d'Auxerre pour celui de Paris en 1220. À sa mort en novembre 1223, il fut enterré dans une chapelle de l'abbatiale de Pontigny.
La construction du chevet et des murs du transept fut assez rapide, puisque l'ensemble était à peu près achevé vers 1235. Ensuite, le chantier connut de nombreuses interruptions, que les difficultés financières du chapitre et les troubles de la fin du Moyen Âge expliquent en partie. La nef et les soubassements de la façade furent entrepris vers 1250, mais l'ensemble de la nef et des collatéraux ne fut partiellement voûté qu'entre 1340 et 1390. Dès 1340 environ on construisait déjà des chapelles latérales, à une date très antérieure à l'achèvement de la nef. Le XIVe siècle se terminait lorsque l'on jeta une voûte sur la croisée du transept. Le portail reçut l'essentiel de sa décoration sculptée vers 1310. On reprit vers 1400 les travaux de la façade. Le voûtement complet de la nef fut achevé au début du XVIe siècle. Vers 1520 on éleva la tour nord, mais au sud, les travaux de la tour ne furent jamais terminés. On était en 1580. On peut avoir une assez bonne idée de la lenteur de ce très long chantier (près d'une quinzaine de phases) au regard des datations de la charpente de chêne, précisées par la dendrochronologie : 1236 sur le choeur, 1329 sur la bras sud du transept et 1424 sur le bras nord, mais seulement 1513 sur les dernières travées occidentales de la nef.
La sculpture du portail a été réalisée par phases successives elle-aussi. Celle des ébrasements date des années 1260-1270, mais au niveau supérieur, elle accuse les années 1400. Le Jugement dernier est illustré au tympan, au linteau et à la première voussure du portail central (v. 1378-1400). Au portail nord, partiellement conservé, l'on peut voir des scènes de la Genèse sculptées vers 1260 aux soubassements (cycles d'Adam et Ève, de Noé). Au portail sud se déploient des scènes de la vie de saint Jean-Baptiste et de la Vierge (début du XVIe siècle). Le tympan du croisillon nord du transept traite quant à lui de la vie de saint Germain (v. 1415).
Le portail du bras gauche du transept est pour sa part une réalisation des environs de 1415 : il illustre des épisodes de la vie des saints auxerrois, surtout celle de saint Germain. Il est surmonté par la rosace des litanies de la Vierge, qui a été installé en 1528.
Mais il faut surtout signaler le grand intérêt que présentent les vitraux médiévaux conservés surtout dans le déambulatoire, à vrai dire l'un des ensembles les plus importants de vitraux du XIIIe siècle en France. Pour protéger ces oeuvres à l'approche de la seconde guerre mondiale, les panneaux avaient été descendus. Les emplacements actuels ne respectent pas ceux du Moyen Âge.
Bibliographie
-Ursula Quednau, Die Westportale der Kathedrale von Auxerre, Wiesbaden, 1979.
-Juliette Rollier-Hanselmann, “D’Auxerre à Cluny : technique de la peinture murale entre le VIIIe et le XIIe s.” , Cahiers de civilisation médiévale , 40, Poitiers, 1997, p. 57-90.
-Ead.,"Étude des peintures murales romanes dans les anciens territoires de Bourgogne : de Berzé-la-Ville à Rome et d’Auxerre à Compostelle", In Situ. Revue des patrimoines, 22 (2013), p. 1-18.
-Christian Sapin (dir.), Peindre à Auxerre aux IXe-XIVe siècles. 10 ans de recherche à l’abbaye Saint-Germain d’Auxerre et à la cathédrale Saint-Étienne d’Auxerre, Auxerre-Paris, 1999.
-Éliane Vergnolle, "Un chef d'oeuvre de l'art roman : la crypte de la cathédrale d'Auxerre", Bulletin de la Société de fouilles archéologiques et des Monuments historiques de l'Yonne, 23 (2006), p. 1-16.
-Barbaré Franzé, "Les peintures romanes de la cathédrale d'Auxerre. Une relecture", Bulletin du Centre d'Etudes Médiévales d'Auxerre, 14 (2010), p. 83-99.
-Christian Sapin (dir.), Saint-Étienne d'Auxerre. La seconde vie d'une cathédrale, Paris, 2011.
L'église Saint-Eusèbe (XIIIe-XVIe siècle)
L'évêque Pallade (623-659) avait fondé une basilique dédiée à saint Eusèbe de Verceil (v. 290-371), basilique funéraire probablement, sise extra muros. Ce n'est d'ailleurs que dans le seconde moitié du XIIe siècle, après que le comte a reconstruit l'enceinte, que la collégiale Saint-Eusèbe se trouva incluse dans la ville. Celle-ci était desservie par des chanoines dès le IXe siècle et fut l'objet d'une reconstruction complète, partiellement en style gothique, à partir de la seconde moitié du XIIe siècle.
La nef à trois vaisseaux de cinq travées ainsi que le transept appartiennent à cette époque. Les collatéraux sont couverts de voûtes d'arêtes. La nef elle-même n'était cependant pas terminée : les niveaux du triforium et de la voûte ont été repris à partir de 1216. Les travaux ont ensuite gagné la façade, le chevet à déambulatoire ne datant que des années 1530.
On notera l'élégant clocher, édifié vers 1160-1170, sans doute juste après la tour Saint-Jean de l'Abbaye Saint-Germain avec laquelle il entretient bien des relations stylistiques. Les spécialistes établissent aussi des comparaisons avec le clocher roman de l'église de Vermenton et avec la priorale de La Charité-sur-Loire (arcs quintilobés du soubassement). Les arcatures des baies, le décor de rosaces et de perles et le passage du quadrilatère à l'octogone dans le plan en font l'un des plus beaux clochers de l'Auxerrois.
Bibliographie
-Jean Vallery-Radot, "L'église Saint-Eusèbe d'Auxerre", Congrès archéologique de France, 116e session tenue à Auxerre en 1958, Paris, 1959, p. 87-96.
-V. Bresson, « L’ancien prieuré Saint-Eusèbe d’Auxerre : première approche en archéologie du bâti », Bulletin de la Société des sciences historiques et naturelles de l’Yonne, 139/1 (2009), p. 39-97.