Semur-en-Brionnais : un village labellisé "Plus beau village de France"
Le Château Saint-Hugues (Xe-XIVe siècle)
La seigneurie de Semur a été tenue par la même famille, de la fin du IXe siècle au milieu du XIIIe. Le premier titulaire, Guillaume, était apparenté aux comtes d'Auvergne et de Mâcon, donc à Guillaume Ier, fondateur de Cluny. Une même souche est à l'origine de la lignée de Semur, des Donzy et des comtes de Chalon. Lorsque le duc capétien de Bourgogne Robert Ier le Vieux (1011-1076) épousa Hélie de Semur (v. 1016-1170), la propre soeur d'Hugues de Semur, abbé de Cluny (1049-1109), la souche des Semur donna la lignée des ducs capétiens de Bourgogne. La fille de Robert et d'Hélie, Constance (1136-1192), ayant épousé en secondes noces le roi Alphonse VI de León (1081), c'est dans l'Espagne de la Reconquista que les Semur étendirent leurs ramifications. Robert Ier et Hélie eurent aussi pour descendant Alphonse Ier, le premier roi du Portugal (1139). À Semur-en-Brionnais, face au donjon qui se dresse encore et domine la vallée, le visiteur doit savoir qu'il se trouve au coeur des rouages de la féodalité et à la racine de royaumes naissants. Quant aux relations entre les Semur et Cluny, ne serait-ce qu'au travers de l'abbé Hugues, elles appartiennent pour une large part à l'histoire de l'abbaye. En 1054, par exemple, les sires Geoffroy II et Dalmace avaient donné Marcigny à l'abbaye de Cluny, ce qui permit à l'abbé Hugues de Semur de fonder le prieuré des Dames de Marcigny, où se retira et où mourut la mère de Pierre le Vénérable, Raingarde (v. 1071-1135). En 1170, c'est l'église de Saint-Martin-du-Lac qui est donnée aux religieuses de Marcigny par le châtelain de Semur.
Ce qui subsiste du château consiste pour l'essentiel en un donjon et une enceinte appelée "chemise" (XIIe-XIIIe siècle), dont font partie les deux tours de l'entrée. L'abbé François Cucherat (1812-1887) avait émis l'hypothèse que la tour maîtresse pouvait avoir été érigée dès le Xe siècle, une datation haute remise en question par la suite au profit d'une datation au XIe siècle. Toutefois, les dernières datations effectuées par des méthodes scientifiques modernes accréditent définitivement la datation haute, ou pour le moins l'hypothèse d'un édifice des environs de l'an mil au plus tard. De la sorte, Hugues de Cluny a pu naître dans cette tour. Celle-ci montre cependant des reprises. Elle fut d'abord moins haute et l'étage inférieur supportait peut-être au début une tour en bois. Les étages furent modifiées aux XIIIe-XIVe siècles par l'adjonction d'une cheminée et d'une fenêtre à meneaux (v. 1380). Le donjon de Semur n'en est pas moins l'un de plus anciens témoins du genre en Bourgogne, avec ceux de Champallement, La Marche, Moulins-Engilbert (Nièvre) et Rougemont (Côte-d'or).
Église Saint-Hilaire, ancienne collégiale (XIIe siècle)
Les liens particuliers entre Semur et Cluny expliquent un vocabulaire architectural en grande partie clunisien dans cette église. Il s'agit d'une collégiale, les sires de Semur ayant fondé un collège de chanoines, et la première affectation de l'édifice fut celle de chapelle castrale. Il existait en contrebas du bourg une chapelle Saint-Madeleine et, surtout, à Saint-Martin-la-Vallée, l'église paroissiale encore debout. Mais en 1274, la collégiale devint église paroissiale.
Deux hypothèses de datations ont été émises en ce qui concerne cette construction. L'une consiste à identifier deux phases, une première qui concerne le chevet, bâti à partir des années 1125 environ, la nef, la façade et enfin le clocher faisant l'objet d'une seconde campagne dans la deuxième moitié du XIIe siècle et, pour le dernier étage du clocher, probablement au début du siècle suivant. C'est l'hypothèse d'André Rhein, émise dès 1920, et reprise à l'identique par Raymond Oursel, comme le rappelle Anelise Nicolier. Une autre hypothèse, qui semblait encore l'emporter il y a peu, refuse la rupture chronologique. La collégiale Saint-Hilaire aurait été bâtie en une seule campagne, assez longue cependant, entre les années 1140 et la fin des années 1170 au moins, le dernier étage du clocher devant toujours être placé tardivement dans le XIIe siècle ou au début du XIIIe (les baies sont déjà gothiques). Toutefois, Anelise Niclier apporte des arguments qui donnent raison à l'hypothèse de Rhein, bien qu'il ne faille pas imaginer une rupture de chantier forcément longue entre les deux campagnes, de toute façon situées durant la seconde moitié du XIIe siècle, et certainement pas avant les années 1160. Le décor est en effet inscrit dans le sillage de l'avant-nef de Charlieu, que Neil Stratford date de ce moment-là. On avait en tout prévu une nef pus basse que l'actuelle, sur deux niveau. L'idée de construire un troisième niveau, comme dans l'abbatiale de Cluny, s'est ensuite imposée. Cette élévation tripartite est unique en Brionnais, tout comme, sans doute, la volonté qui a présidé à ce choix. Cela explique le profil ramassé de cette église. La construction du clocher a encore occupé, sans doute, les premières années du XIIIe siècle. L'architecture est donc brionnaise au niveau du chevet, et clunisienne dans la nef.
Bâtie en moyen appareil, l'église se compose d'une nef de quatre travées à bas-côtés, d'un transept non saillant, d'une travée de choeur à bas-côtés et d'une abside flanquée de deux absidioles. La croisée est couverte d'une lanterne octogonale sur trompes et les collatéraux de la nef ont reçu des voûtes dont les arêtes sont très vives.
On trouve dans cet édifice, comme il a déjà été souligné, de nombreux éléments propres au lexique architectural clunisien : l'élévation à trois étages (arcades, faux triforium et baies), une voûte qui, sur la nef, était jadis en berceau brisé (avant sa réfection au XIXe siècle) et d'ailleurs plus haute qu'aujourd'hui, des piles cruciformes à pilastres cannelés, de grandes arcades à double rouleau en berceau brisé, un faux-triforium issu des expériences de Saint-Lazare d'Autun et de Paray-le-Monial, des corniches et surtout la concentration d'une décoration présente dans des églises clunisiennes, à commencer par Cluny III : les colonnes torsadées, les oves, les damiers de billettes, les rubans, les palmettes, les rinceaux et les rosaces...Ajoutons la console au revers du mur de façade, qui repose sur douze assises, à l'imitation de celle de la grande abbatiale Cluny III.
La décoration du portail occidental est singulière, d'un point de vue thématique. Rien de surprenant au fait de trouver au tympan un Christ bénissant, encadré par deux anges et par le Tétramorphe. C'est là un thème très fréquent sur les portails romans et dans la peinture murale, voire dans celle des manuscrits. Mais le linteau, nettement séparé du tympan par une corniche très saillante, présente une scène plus étonnante par sa portée en apparence très anecdotique. Il s'agit du concile oriental de Séleucie (septembre-octobre 359) auquel saint Hilaire de Poitiers (315-367), alors exilé en Asie mineure, aurait participé et dans lequel il aurait rappelé le Credo de Nicée (325) sur la nature du Christ, en pleine querelle entre Ariens et Nicéens. Il faut rappeler qu'à l'issue de ce concile, l'empereur Constance a fini par imposer de sa propre autorité une formule que la postérité n'a pas retenue et put être ensuite considérée comme hérétique. On peut voir sur le linteau, à droite, un personnage accroupi, mais défaillant. C'est sans doute Arius, l'hérésiarque, qui serait mort alors qu'il se trouvait aux latrines (336). Le thème de la mort excrémentielle de l'hérétique ensuite assailli par le démon est un lieu commun de la littérature chrétienne anti-hérétique. Selon Avital Heyman, il se pourrait que le concepteur du programme illustre peu de temps après les faits le schisme de Victor (1159-1164), un antipape opposé au pape Alexandre III. Ce dernier fut finalement soutenu par les sires de Semur et par d'autres seigneurs de la région. Ce n'était pas le cas de l'abbé de Cluny Hugues III de Frazans (1158-1163), partisan de Victor, qui fut déposé pour son choix qui était aussi celui de l'empereur germanique Frédéric Barberousse. Les Semur voulaient-ils ainsi démontrer leur fidélité et leur orthodoxie doctrinale ? L'hypothèse est très tentante et inciterait à dater ce portail un peu après 1164, à un moment où le parallèle restait encore évident au yeux de l'observateur averti. Le style est en outre compatible avec cette date. Toutefois, celle-ci est contredite par le choix d'un architecture de la nef qui est précisément on ne peut plus clunisienne. Cette nef est même une sorte de Cluny III en modèle réduit. Pourquoi contredire dans l'architecture ce que l'on proclame dans la sculpture du tympan ? En fait, comme le souligne Anelise Nicolier, après d'autres, cette église castrale rendrait un hommage appuyé à l'abbé de Cluny Hugues (1049-1109), né à Semur en 1024 et assimilé à un protagoniste de l'affirmation de l'orthodoxie, comme saint Hilaire le fut en son temps. Rappelons, d'autre part, que Hugues avait été canonisé dès 1120 par le pape Calixte II. Il est vrai que ce thème, le concile de Séleucie, est connue dans d'autres oeuvres d'art, mais toutes postérieures à ce tympan. Le seul et unique autre exemple, antérieur, est celui du cénotaphe d'Hilaire de Poitiers à l'abbaye Saint-Hilaire-de-la-Celle, en Poitou, vers 1150.
On admirera également la sculpture des chapiteaux et surtout celle des consoles dans le choeur, côté est, où l'on voit des atlantes à l'expression narquoise, voire démoniaque. On peut rapprocher la profusion du décor de l'abside et du choeur à la sculpture du portail nord du narthex de Saint-Fortunat de Charlieu, de peu antérieur. Il faut aussi noter la présence du très bel autel roman (XIIe-XIIIe siècle) dans le choeur.
Église Saint-Martin-la-Vallée (début du XIIe siècle)
Bâtie en moellon, comme on le faisait surtout au XIe et au début du XIIe siècle, cette église de 19 m x 8 m environ fut celle de la paroisse de Semur jusqu'en 1273/4. La nef unique, charpentée, se prolonge par un choeur et une abside dans lesquels on pénètre en passant sous un arc triomphal à engrenure (plutôt associé à l'art roman de l'ouest de la France) et fourré, comme on peut en voir à Anzy-le-Duc. Fait original, mais également attesté à Saint-Martin-du-Lac et à Saint-Maurice-lès-Châteauneuf, le clocher se trouve à droite du choeur. Aucune croisée centrale assez solide ne venait en effet soutenir un tel clocher. La chapelle, côté sud, a été ajoutée au XVIIe siècle. Certains spécialistes (parmi lesquels Christian Sapin) datent l'ensemble de la fin du XIe siècle et d'autres, comme Matthias Hamann, plutôt des années 1120 (date vraisemblable du clocher pour le moins). Anelise Nicolier relève toutefois l'opportunité d'une datation autour de 1100, y compris le clocher. Cette église est venue en remplacer une autre, mentionnée dans la documentation dès le Xe siècle. Deux autels médiévaux se trouvent dans la nef, celui de gauche étant peut-être roman. Récemment, lors d'une restauration de la chapelle, on a découvert des fresques du XVIe siècle. Une autre couche date du XIVe siècle et, dans le choeur, un cheval jaune sur fond vert date de la fin du XIIe siècle, selon Juliette Rollier. Le portail ouest, par lequel on entre dans l'église, a été aménagé et décoré de peinture au XVIe siècle.
Bibliographie et ressources en ligne
Sur la collégiale et à propos de Saint-Martin-la-Vallée, voir :
-Matthias Hamann, Die burgundische Prioratskirche von Anzy-le-Duc und die romanische Plastik im Brionnais, Würzburg, 2000. Résumé de thèse en ligne.
-Christian Sapin (dir.), Bourgogne romane, Dijon, 2006.
-Nicolas Reveyron (dir.), Hugues de Cluny 1024-1109. Lumières clunisiennes : exposition, Paray-le-Monial, basilique, cloître, musée du Hiéron, 11 juillet-11 octobre 2009, Cluny, 2009, p. 132-136.
-Guy Lobrichon, Bourgogne romane, Lyon, 2013.
-Anelise Nicolier, "La pierre des églises romanes du Brionnais : approvisionnement et mise en œuvre", dans Paysages, patrimoine bâti et matériaux en Bourgogne de l'Antiquité à nos jours, Actes du 23e colloque de l'Association Bourguignonne des Sociétés Savantes (Saint-Christophe-en-Brionnais, 26-27 octobre 2013), Saint-Christophe-en-Brionnais - Dijon, 2014, p. 113-123. Article en ligne.
-Anelise Nicolier, La construction d'un paysage monumental religieux en Brionnais à l'époque romane, Thèse (2015), Tome III, vol. 3, Corpus : Semur-en-Brionnais : p. 185-225.
Concernant le château Saint-Hugues, consulter :
-Armin Kohnle, Abt Hugo von Cluny (1049-1109), Sigmaringen, 1993. L'ouvrage fait notamment le point sur la généalogie des Semur.
-Élizabeth Jacquier, "Le château de Semur-en-Brionnais et le réseau castral en Bourgogne du sud aux XIe et XIIe siècle", dans Paray-le-Monial-Charollais-Brionnais. Le renouveau des études romanes, IIe colloque scientifique international de Paray-le-Monial (2-3-4 octobre 1998), textes réunis par Nicolas Reveyron et alii, Paris, 2000, p. 185-199.
-Avital Heyman, "À l'ombre de Cluny : l'hagiographie et la politique du portail de Saint-Hilaire de Semur-en-Brionnais", Cahiers de civilisation médiévale, 50 (2007), p. 289-312.
-Florian Bonhomme, Sylvie Guillin, René-Pierre Lehner, Herbé Mouillebouche, "Trois châteaux du Xe siècle datés par 14C-AMS", dans Brigitte Colas, Hervé Mouillebouche, Françoise Vignier, Chastels et maison fortes, III. Actes des Journées de castellologie de Bourgogne, Chagny, 2010, p. 11-20.
-Le site internet du Château Saint-Hugues.
-Le site internet du Centre de castellologie de Bourgogne : fiche sur le château de Semur
-On trouvera aussi de très nombreuses informations concernant la famille seigneuriale des Semur dans les publications de l'abbé Cucherat, sur ce site.