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Berzé-la-Ville

Berzé-la-Ville - Chapelle des Moines : fresques de l'abside (début du XIIe siècle)
Berzé-la-Ville - Chapelle des Moines : fresques de l'abside (début du XIIe siècle)

Le prieuré clunisien et sa chapelle ornée de fresques romanes (XIe-XIIe siècle)

À plus d'un titre, les peintures murales de la Chapelle des Moines de Berzé-la-Ville constituent un chef-d'oeuvre unique en France : sur le plan thématique d'abord, parce que le concepteur du programme a réinterprété un thème paléochrétien, celui de la Traditio legis et clavium (Remise de la loi et des clés aux saints Pierre et Paul par le Christ), sur le plan ornemental ensuite, car c'est dans le Latium, et à Rome même, que le grand abbé de Cluny Hugues de Semur est allé cherché ses artistes influencés par la peinture byzantine pour réaliser, majoritairement a fresco et a secco pour les finitions, cet ensemble remarquable de peintures murales sur fond clair. Pourtant, si Hugues de Semur a bien fait bâtir vers 1100 l'oratoire à deux niveaux de ce prieuré dans lequel il se retira souvent en son extrême vieillesse, c'est plus probablement sous l'abbatiat de Pons de Melgueil, entre 1109 et 1120, que les peintures furent réalisées.

Ces peintures romanes affectées de repeints plus ou moins importants aux XVe-XVIe siècles ont bénéficié après leur découverte (1887) d'une première restauration qui a conduit à les couvrir d'une couche de cire. Cela donne l'impression que les peintures brillent, mais l'effet n'est pas d'origine. La donation de la Chapelle des Moines à l'Académie de Mâcon en 1947 a offert des conditions optimales pour la conservation de cet ensemble de tout premier ordre dans l'art médiéval en Bourgogne et, plus largement, en France. Des études approfondies ont été consacrées à ce dernier, tant du point de vue de la composition que de l'analyse des pigments, au tournant des années 2000. La palette utilisée, très riche, est désormais bien connue, de même que la technique des pontates, ces surfaces enduites de manière progressive et avec la plus grande minutie pour recevoir les couleurs. La palette elle même est constituée des couleurs suivantes : le blanc, l'ocre jaune et l'ocre rouge, le minium (surtout pour les rehauts), le vermillon, le terre verte, le bleu de lapis-lazuli (rare et très cher), enfin le noir de carbone. Ajoutons que des incrustations de verre et de métal entraient dans la technique utilisée.

Berzé-la-Ville - Chapelle des Moines : fresques de l'abside (début du XIIe siècle)
Berzé-la-Ville - Chapelle des Moines : fresques de l'abside (début du XIIe siècle)

Pour comprendre la portée idéologique de la composition, véritable "construction intellectuelle" soulignant "le rôle de Cluny dans la chrétienté" (Juliette Rollier-Hanselmann), il faut lire le programme en commençant par la figure centrale, celle du Christ. Ce dernier, à l'époque romane, était vêtu d'un manteau jaune éclatant (repeint en rouge à l'époque gothique). Cette couleur, selon une tradition bien attestée chez les exégètes du haut Moyen Âge et du Moyen Âge central, souligne l'éclat de la divinité du Christ et la lumière fulgurante de la Résurrection au matin de Pâques. Le Christ remet la loi à saint Paul entouré d'un groupe d'apôtres (à gauche) et les clés à saint Pierre, également accompagné d'apôtres. Aux pieds du Christ, à gauche, deux abbés de Cluny sont représentés. Huit saints forment un groupe à part aux soubassements : Abdon, Sennen, Dorothée, Gorgon, Serge, Denis et Quentin, tous des martyrs de l'Antiquité paléochrétienne. De part et d'autre, au niveau des arcatures, les saints Blaise et Vincent complètent la sélection. Au total, en ajoutant les Vierges sages, ce sont plus de quarante personnages qui sont ici représentés.

Aux yeux des tenants de la réforme grégorienne, sous les papes Grégoire VII, Urbain II ou Pascal II, au tournant des XIe et XIIe siècles, il fallait rappeler, face aux empiètements des puissants laïcs, que c'est du Christ que vient toute autorité et tout pouvoir dans l'Église et que c'est aux apôtres, à commencer par saint Pierre, qu'ils ont été remis. Toutefois, Cluny recueille cet héritage doctrinal et disciplinaire à travers son privilège d'exemption. La présence des abbés du puissant monastère aux pieds du Christ et des apôtres est là pour le rappeler...

Berzé-la-Ville - Chapelle des Moines : le Christ Pantocrator (début du XIIe siècle)
Berzé-la-Ville - Chapelle des Moines : le Christ Pantocrator (début du XIIe siècle)

Bibliographie

-Éric Palazzo, "L'iconographie des fresques de Berzé-la-Ville dans le contexte de la réforme grégorienne et de la liturgie clunisienne", Les Cahiers de Saint-Michel de Cuxa, 19 (1988), p. 169-186.

-Fernand Nicolas, Les peintures murales à la Chapelle des moines de Berzé-la-Ville, Mâcon, 1998.

-Juliette Rollier-Hanselmann, “D’Auxerre à Cluny : technique de la peinture murale entre le VIIIe et le XIIe s.” , Cahiers de civilisation médiévale , 40, Poitiers, 1997, p. 57-90. Texte en ligne.

-Ead., "Les peintures murales de Cluny III et de Berzé-la-Ville", Dossiers d'archéologie, n° 269 (janvier 2002, p. 72-75.

-Ead., La Chapelle des moines de Berzé-la-Ville : image du monde chrétien médiéval (article de 2007). Article en ligne sur cette page.

-Ead., « Une image des crises et des conflits dans la chrétienté médiévale : Berzé-la-Ville, la Chapelle-des-Moines », Revue électronique des Sciences humaines combinées, École doctorale 491, Université de Dijon, 2008.

-Pierre Garrigou Grandchamp, Alain Guerreau, Jean-Denis Salvêque, Edward Impey, "Doyennés et granges de l'abbaye de Cluny. Exploitations domaniales et résidences seigneuriales monastiques en Clunisois du XIe au XIVe siècle", Bulletin Monumental, vol. 157 (1999), p. 71-113. Article en ligne.

-Élisabeth Lapina, "Les peintures murales de Berzé-la-Ville dans le contexte de la Première Croisade et de la Reconquista", Journal of Medieval History, 31 (2005), p. 309-326). Texte en ligne.

Ressources en ligne

-Voir la page du site de l'Académie de Mâcon au sujet de la Chapelle des Moines.